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Réflexions actuelles autour des traditions : Art, recherche et médiations

Réflexions actuelles autour des traditions : Art, recherche et médiations

Synthèse du premier atelier et perspectives de travail

Alice Degorce, Katrin Langewiesche, Fatou Gislaine Sanou, 12 novembre 2021

 Les religions et les traditions sont parfois la cause de relations conflictuelles entre différents groupes et un obstacle majeur à la construction d’un vivre ensemble pacifique. L’actualité présente des affrontements sur fond d’un extrémisme violent qui entraînent un nombre très important de réfugiés et de déplacés au Burkina Faso. Toutefois, toutes les traditions religieuses présentes au Burkina Faso jouent en même temps un rôle important dans la promotion de la paix. Les religions traditionnelles sont souvent omises lorsqu’on analyse la diversité religieuse au Burkina Faso. Elles reviennent cependant au premier plan quand il s’agit de trouver des solutions aux crises actuelles, sans que l’on puisse spécifier clairement qu’elle pourrait être leur contribution. C’est ainsi dans une logique souvent “enchantée“ des religions et traditions africaines que certains acteurs (ONGs, coutumiers, agences internationales, intellectuels) font la promotion des mécanismes traditionnels de résolution de conflit.

Dans le but de mener une réflexion critique sur les manières d’appréhender les différences et les points communs au sein des pratiques religieuses dans les communautés, l’atelier Réflexions actuelles autour des traditions : art, recherche et médiations a proposé d’étudier les notions de « tradition » et de « religion traditionnelle » dans leurs dimensions esthétiques, artistiques et anthropologiques afin d’interroger la manière dont, à partir de ces concepts, des formes de connaissances pour la recherche et pour la création de spectacles peuvent être produites.

L’atelier a rassemblé à Ouagadougou durant deux journées – du 2 au 3 novembre 2021

  • les membres du projet de recherche “Diversité religieuse et traditions au Burkina Faso : enjeux historiques et actuels“ (DivTrad_BF) ainsi que des intervenants du Ministère de la Culture (Direction du Patrimoine), de l’université Joseph Ki-Zerbo, de l’INSS, des intervenants du domaine des arts de la scène, ainsi que des invités du Musée national et des coutumiers. Six exposés ont été alternés avec des discussions de groupes autour de trois questions :
    • Dans quelles situations, quotidiennes ou rituelles, la vision des jeunes et des vieux se confronte autour de la tradition ?
    • Comment collecter des données sur les religions traditionnelles actuelles au Burkina Faso?
    • Comment les acteurs des politiques publiques, les artistes et les chercheurs peuvent- ils travailler ensemble sur des traditions pour favoriser la cohésion sociale?

Cette synthèse des deux jours de travail s’articule autour des trois grands thèmes de l’atelier, qui correspondent également aux trois questions précédemment citées : les notions de “tradition“ et de “religion traditionnelle“ ; les pratiques combinées entre recherche et arts ; les pratiques de médiations et de politiques patrimoniales. Chacun de ces thèmes a été traité par deux conférenciers et par des discussions collectives.

1.Synthèses

 

  • Questionnements sur les notions

 

Les notions de traditions et de religions traditionnelles ont été introduites par Ludovic O. Kibora, socio-anthropologue et directeur de l’INSS, et Gérard Pingdéwindé Kientega dit KPG, conteur et forgeron. Les deux contributions étaient complémentaires.

Ludovic O. Kibora a proposé des définitions de la tradition à partir des sciences sociales, en explorant de façon approfondie le concept sous ses différents aspects et dans différentes langues (non seulement en français, mais aussi en dioula, en mooré et en kassem, la langue des Kasséna). Dès le début de son intervention, il a proposé l’idée, revenue à plusieurs reprises dans l’atelier et que nous retiendrons ici, que la tradition est à la fois un héritage et une construction dans le présent. C’est ce qu’on fait de la tradition dans le présent qui la façonne. Cette idée a bien été illustrée par l’intervention de Gérard Pingdéwindé Kientega,

KPG, qui a présenté son dernier spectacle, Supiim, sur la forge et sur la symbolique des outils de la forge. Dans ce spectacle, il combine à la fois ses connaissances en tant que conteur issu d’une famille de forgerons, les connaissances scientifiques des archéologues qui ont travaillé sur la forge au Burkina Faso, et ses propres observations de terrain, menées dans plusieurs sites. Dans sa communication, KPG a expliqué ce cheminement, et ce qu’il fait lui-même de ces traditions dont il est l’héritier, en tant que conteur et forgeron. De plus, s’il a pu observer toutes ces traditions de la forge sur des sites et dans des contextes culturels et linguistiques différents, il retient une forme d’unité culturelle, de tradition qui serait “commune“ à toutes ces pratiques. Il souligne ainsi les liens entre le particulier, les observations très localisées qu’il a menées, et une dimension plus globale de la forge en tant que “tradition“ ou “pratique traditionnelle“.

Echanges avec la salle

 

Les points qui suivent tentent de lister, sans toutefois les hiérarchiser, les discussions autour de la notion de “tradition“ et de “religions traditionnelles“ qui ont suivi les deux exposés.

Les premiers moments de débats ont été orientés autour de la question du dénigrement des traditions, et de la nécessité de les valoriser, de les estimer à une plus juste valeur. La concurrence (déséquilibrée) avec le système capitaliste, la place grandissante de l’argent dans les rapports sociaux a dans cette perspective été pointée et est revenue à plusieurs reprises au cours de l’atelier.

Une autre question récurrente a été celle du rôle effectif des traditions pour la cohésion sociale et les participants ont interrogé la possibilité (réelle ?) qu’elles puissent jouer un rôle pour maintenir une cohésion sociale fragilisée par la situation sécuritaire actuelle du pays. Plusieurs participants ont ainsi évoqué l’éventualité de choisir ou de sélectionner des traditions sur lesquelles pourraient s’appuyer des activités. La notion d’utilité est ainsi apparue ici, dans une perspective de recherche plus appliquée.

La relation entre “tradition“ et “modernité“ a longuement été discutée. L’une des conclusions de l’atelier est sans doute son caractère artificiel (par ailleurs déjà soulignée dans d’autres contextes, débats ou publications) et faussement binaire. Il a ainsi été souligné le fait que la tradition est finalement toujours contemporaine, en insistant sur le fait de ne pas

utiliser le terme “moderne“. Elle entre en effet en acte dans notre quotidien, dans notre propre contemporanéité en tant qu’individus.

La  question  générationnelle  a  également  été  posée  et  abondamment  discutée.

Certains participants ont souligné la nécessité de faire confiance aux jeunes et à leur capacité à investir les traditions, à les recevoir et à les dynamiser. À l’inverse, la question des anciens et de leur attitude vis-à-vis de la tradition a également été posée. Ont-ils également été amenés à remettre en cause ou à discuter des traditions à leur époque pour pouvoir avancer ?

Une autre idée importante a été celle de l’altérité et du moment où on “active“, où on met en avant sa tradition. Cette idée va de pair avec celle de la transmission, dont on n’a pas forcément conscience. Une tradition peut être transmise, mais pas nécessairement de façon explicite. On peut ainsi être porteur d’une tradition sans en avoir conscience, et la rencontre avec l’Autre peut s’avérer être un révélateur de cette tradition. La confrontation à l’Autre, le fait de s’extraire de son contexte culturel sont en effet des moments où la tradition peut être “activée“ par son porteur.

1.2.Pratiques combinées entre recherche et arts

 

La première intervention de ce volet fut celle de Paul Zoungrana, comédien, dramaturge, metteur en scène, directeur de l’Institut de recherche sur le théâtre burkinabè (IRTB) et président de Fédération nationale de théâtre du Burkina (FENATHEB). Elle a porté sur la

« Recherche artistique à caractère scientifique pour des solutions endogènes durables et l’épanouissement des populations ». Les objectifs de l’IRTB sont, entre autres, de promouvoir la recherche sur le théâtre, de susciter des formations et de nouvelles formes théâtrales, de créer un espace de rencontres entre les artistes et les chercheurs pour des solutions endogènes (dans le sens de producteurs de pensées), de préserver la mémoire collective, et d’édifier un théâtre autonome et autosuffisant.

Cela a suscité la mise en œuvre de plusieurs chantiers et des perspectives pour les années à

venir. Il s’agit essentiellement :

  1. du keeogo (camp d’initiation en mooré) de la recherche artistique à caractère scientifique qui a donné lieu à une réhabilitation des histoires du terroir à travers la collecte de mythes, contes, légendes, etc. ; la réhabilitation du sens des éléments sociétaux dans le conte, la transformation des codes traditionnels en codes théâtraux ;
  2. de projets en cours tels que l’écriture de l’histoire générale du théâtre au Burkina Faso,

la recherche de nouvelles formes de théâtre en termes de scénographie ;

  1. des collaborations avec des structures de recherche comme l’Institut des sciences des sociétés (INSS) avec le théâtre de sensibilisation, le théâtre radiophonique, le conte théâtralisé ; avec l’ Institut de Recherche en Sciences Appliquées et Technologies (IRSAT) pour la fabrication de projecteurs solaires au théâtre ; l’Académie des savoirs et des pratiques artistiques de Grenoble pour la pratique d’un théâtre-thérapie à l’endroit des déplacés internes ; la création prochaine d’une revue scientifique sur le théâtre.

La seconde communication, celle de Souleymane Ganou, enseignant-chercheur en Études culturelles africaines a questionné la représentation des items traditionnels dans le vidéoclip africain. De nos jours, le vidéoclip est devenu un passage obligé pour le lancement d’un album. C’est un ensemble d’expression de plusieurs arts : musique, chant, danse, poème, théâtre, etc. d’où l’idée d’un foisonnement artistique avec une recherche esthétique singulière.

Son analyse des clips « Agolo » de Angélique Kidjo (Bénin) et de « Smandbé » de Bil Aka Kora (Burkina Faso) a montré l’importance de la conservation des pratiques traditionnelles par de nouveaux médias. Les artistes musiciens usent des items culturels, des pratiques cultuelles et rituelles (habillement, architecture, masque, danse, …) pour la sauvegarde des traditions et des cultures.

Échanges avec la salle

 

Comment utiliser les outils de la modernité pour conserver les traditions ? que faut-il choisir de garder ? comment conserver ? En un mot, comment transmettre les traditions ? En s’appuyant sur les discussions, les enseignements tirés et les compétences acquises lors de ce volet de l’atelier ont indiqué que la démarche de recherche et les enquêtes des artistes sont intéressantes pour la valorisation des pratiques traditionnelles. Cependant, l’une des difficultés majeures est le repérage des pratiques traditionnelles et leur transmission.

Au final, il s’agit fondamentalement d’une question d’adaptation puisque les traditions portent des marques d’innovations, de contemporanéité, mais aussi de confrontations du vues différentes, preuve du dynamisme. Il faudra alors penser la naissance de nouvelles traditions afin de répondre aux besoins des communautés en matière de cohésion sociale. Cela passe par le fait d’apprendre à se connaître, à découvrir les pratiques traditionnelles et la religion de l’autre, les différences et les ressemblances.

1.3.Pratiques de médiations et de politiques patrimoniales

 

La première intervention du volet Pratiques de médiations et de politiques patrimoniales était assurée par plusieurs membres du collectif ACMUR (« Assez de murs », Association Arts, Clowns, Marionnettes et Musique dans nos rues ), Amadou Tall et Amelie Tapsoba, médiateur et médiatrice culturelle, ainsi que Nongodo Ouédraogo et Hyacinthe Kabré, tous les deux à la fois metteur en scène, écrivain et comédien. Leur présentation a mis en lumière la complémentarité entre médiateurs et créateurs de spectacle. Les médiateurs assurent l’exploration du lieu du spectacle et la mise en contact avec des personnes ressource, la diffusion du message théâtral durant et après la manifestation, l’accueil du public, ainsi que le suivi et l’évaluation auprès de la population après l’événement. L’évaluation se fait à la fois d’une manière formelle à l’aide de questionnaires et de manière informelle par une immersion et des observations auprès de la population. Les deux metteurs en scène ont explicité leurs démarches d’écriture et de création dans le cadre du théâtre débat inventé par Jean-Pierre Guingané. Cette approche passe par la proposition d’un prologue qui met en scène la thématique qui a été proposée, la création d’une histoire, d’un épilogue et la mise en débat avec le public. Le débat est prolongé par une synthèse, et parfois par un engagement de la part de la population d’agir auprès de leur communauté. Le point fort de cette démarche est la proximité avec les individus, récepteurs du message théâtral et l’intégration de leurs préoccupations dans le processus de création.

La deuxième intervention de ce volet a été présenté par Moctar Sanfo, Conseiller en Gestion du Patrimoine Culturel et Directeur Général du Patrimoine Culturel au Ministère de la Culture sur « Les enjeux de la sauvegarde du Patrimoine Culturel Immatériel au Burkina Faso ». Il a d’abord souligné les difficultés de définir et d’inventoriser le patrimoine culturel immatériel avant de pouvoir évaluer un quelconque impact des procédures autour du patrimoine

immatériel initiées par l’UNESCO. Il a exprimé entre autres la préoccupation de ne pas figer le PCI, d’y intégrer les évolutions et changements des traditions, ainsi que la nécessité d’une communication entre artistes, chercheurs et les acteurs des politiques publiques pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.

Échanges avec la salle

 

Les échanges avec la salle ont porté sur la représentation du sacré. Comment exprimer un regard critique sur les traditions sans tomber dans l’humiliation des acteurs traditionnels ? Est-ce qu’on doit choquer pour transformer ? Peut-il y avoir un théâtre rituel au Burkina, connu en d’autres pays, par exemple en Côte d’Ivoire ? Pourquoi certains mécanismes sociaux jugés comme traditionnels sont reconnus comme facilitateurs pour la cohésion sociale ?

A plusieurs reprises les participants ont souligné l’importance de la médiation culturelle pour la transmission des traditions.

2.Perspectives et attentes autour de la collaboration

 

Les deux journées de l’atelier se sont terminées avec la formulation de perspectives de travail et d’attentes de collaborations. Une conclusion importante de l’atelier est la nécessité de développer une épistémologie commune entre chercheurs et artistes. Une épistémologie qui permet aux artistes de puiser dans les méthodes des sciences sociales et qui ouvre des techniques théâtrales aux chercheurs afin d’approcher différemment leurs terrains respectifs. Envisager le terrain comme une performance par l’approche du sensible à travers une attention particulière aux émotions, au son, aux gestes, aux odeurs et au visuel.

Quelques propositions concrètes ont émergé :

  • La constitution d’un groupe de travail entre chercheurs et artistes (IRTB, département

des études culturelles, Université de Mainz, IRD, ACMUR).

  • Un atelier à mi-parcours en 2022 avec des modules de formations réciproques (apprentissage de techniques théâtrales pour chercheurs, apprentissage de méthodes de sciences sociales pour artistes).
  • Un spectacle de théâtre sur le sujet traditions-religions traditionnelles
  • Une collaboration pour la création de modules pour les écoles : une stratégie nationale

/ UNESCO en cours dont la phase pilote a été réalisée d’où la nécessité de la formation

des encadreurs

  • Une collaboration avec la Direction du Patrimoine qui a exprimé un besoin de résultats de la recherche scientifique pour la sauvegarde du PCI
  • Les collaborations autres que celles des acteurs de la recherche (croisement de regards avec les artistes et les coutumiers du Yatenga). Revalorisation des traditions dans différents médias à travers le conte, la bande dessinée, le dessin animé, le vidéo clip etc. et investissement des modes de communication actuellement utilisés par les jeunes pour mieux les toucher (internet, réseaux sociaux…).