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QU’EST-CE QUE LA « TRADITION » ?
QU’APPELLE-T-ON RELIGION TRADITIONNELLE ?

Ludovic Ouhonyioué Kibora & Katrin Langewiesche

Au Burkina Faso, la question de la tradition est omniprésente dans le débat public depuis plusieurs décennies, en réaction aux problèmes existentiels qui résulteraient de la modernité imposée, le citoyen ordinaire, l’intellectuel et le politique n’hésitent pas à présenter la tradition comme un réservoir de valeurs sûres, qui pourrait servir de source d’inspiration voire d’énergie vitale, pour toute action de développement socio-économique. Le passé colonial non lointain et la difficile recherche des voies du développement avec le schéma actuel des politiques publiques, ont renforcé dans la conscience de nombreuses personnes cette idée de la nécessité de puiser les ressources dans l’héritage traditionnel. C’est ce que résumait le professeur Joseph Ki-Zerbo en ces termes :

L’obstacle majeur au développement endogène des peuples africains subsahariens, est la perturbation très profonde et aliénante de la culture spécifique de chacune de leurs sociétés sous le coup mortel de l’imposition d’une civilisation étrangère aux leurs (Ki-Zerbo 1992 : 82)

La tradition si souvent évoquée dans les discours n’est pas toujours cernée et expliquée de façon claire et précise. Tantôt elle est confondue à la culture, tantôt elle est référée au passé historique glorieux de micro-états et autres groupes socioculturels. Dans un tel contexte, la mise en perspective avec la question religieuse est intéressante. Elle permet de comprendre les attitudes et pratiques des Burkinabè qui semblent faire l’unanimité sur l’apport possible de la tradition au maintien de    la cohésion sociale et du mieux vivre ensemble. L’engouement partagé des Burkinabè en faveur de la tradition, source de « valeurs positives », a-t-il un lien quelconque avec leurs rapports aux pratiques religieuses dites traditionnelles ? C’est autour de cette question principale que nous, d’autre  part.  Le  constat  a  priori  est  que  la  présence  des  religions  dites importées (islam et christianisme surtout) entraîne une reconfiguration de  l’univers  des  pratiques  religieuses  traditionnelles  sans  pour  autant les anéantir (Degorce 2014). Après une analyse du concept de « tradition » et de ses acceptions locales, nous abordons le sujet de la religion traditionnelle  et  son  expression  actuelle  au  Burkina  Faso.

LA TRADITION EN QUESTION

À priori, l’idée de « tradition » renvoie non seulement aux us et coutumes, aux mœurs, aux normes et conventions mais aussi aux choses du passé. Non pas un passé clos, mais un passé dynamique du fait de sa perpétuation intergénérationnelle qui l’enrichit d’apports nouveaux au fil du temps. La tradition englobe le patrimoine culturel immatériel des communautés, tout en étant partie de ce patrimoine (UNESCO 2011). La tradition intègre leurs systèmes de représentations qui, malgré les transformations sociales, résistent à certaines agressions extérieures. La tradition est une transmission des manières de vivre, de savoirs et savoir- faire dans la longue durée. Selon Hobsbawm la tradition se différencie des concepts apparemment similaires de coutumes, conventions et rou- tine par son invariance, sa signification rituelle et sa fonction symbolique (Hobsbawm 1983 : 8). Pour Gérard Lenclud, « La tradition serait un fait de permanence du passé dans le présent, une survivance à l’œuvre, le legs encore vivant d’une époque pourtant globalement révolue. Soit quelque chose d’ancien, supposé être conservé au moins relativement inchangé et qui, pour certaines raisons et selon certaines modalités, ferait l’objet d’un transfert dans un contexte neuf. » (Lenclud 1987)

Dans son sens commun, la tradition est souvent considérée comme un repère. Elle est une notion polysémique et renvoie à ce qui rassure face aux incertitudes de la vie actuelle. La tradition c’est aussi l’expérience vécue qui permet d’éviter les écueils actuels de la vie. À ce sujet, il      est généralement admis que « Lorsqu’on ne sait pas d’où l’on vient, on ne saurait savoir où on va ». La tradition fixe ainsi les bases de notre construction sociale, mais aussi de notre personnalité sociale, au point d’être le socle de notre identité. C’est pourquoi, elle parvient à s’imposer dans des domaines où les idéologies séparent les hommes. La tradition est réservoir de normes et de valeurs. Mungala affirme :

Ainsi, la tradition revêt à la fois un caractère normatif et fonctionnel. La normativité se fonde essentiellement sur le consentement à la fois collectif et individuel. Elle fait de la tradition une sorte de convention collective acceptée par la majorité des membres, un cadre de référence qui permet à un peuple de se définir ou de se distinguer d’un autre.ELaPfRonEctiUonVnaElitéAMALION d’une tradition se révèle dans son dynamisme et dans sa capacité d’intégrer de nouvelles structures ou des éléments d’emprunt susceptibles d’améliorer (parfois même de désagréger) certaines conditions d’existence des membres de la communauté. (Mungala 1982)

Contrairement à certaines conceptions évolutionnistes qui stigmatisent le conservatisme de la société traditionnelle, la tradition, à l’image de  la culture, n’est pas fermée 1. La tradition fait partie de la culture et   elle est le plus souvent confondue avec elle. L’UNESCO (1982) définit la culture comme étant :

… l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. (UNESCO, déclaration de Mexico City, juillet-août 1982)

Pour la différencier du patrimoine, Cassin et Wozny définissent la tradition comme ce qui mérite d’être transmis. Tandis que le patrimoine fait référence à tout ce que nous avons reçu en héritage. Cet héritage peut être biologique, matériel, naturel et il est, bien évidemment, toujours culturel (Cassin et Wozny 2014).

Dans les groupes socioculturels du Burkina Faso, il est souvent difficile de trouver des mots qui désignent la culture de façon pleine et entière. Il  n’est  pas  évident  que  ces  mots  ou  expressions  soient  fondamentale- ment  différents  de  ceux  qui  définissent  la  tradition.  Vouloir  les  sérier, s’avère  une  périlleuse  gymnastique  intellectuelle.  Les  dénominations de  la  culture  et  du  fait  culturel  se  confondent,  le  plus  souvent  à  la tradition. Chez les Moose, rog-n-miki, qui signifie de façon littérale « ce qu’on  a  trouvé  en  naissant  »  et  kudumde  (les  choses  anciennes)  sont indistinctement  utilisés  chez  de  nombreux  locuteurs  pour  désigner  la culture ou la tradition, comme pour signifier que tout ce qui est culturel est évidemment traditionnel. Ainsi rog-n-miki combine aussi des notions d’identité  et  de  religion.  D’une  manière  plus  abstraite,  on  pourrait  le traduire  également  par  «  le  chemin  des  ancêtres  ».  Parfois,  les  gens disent  «  mam  maad  rog-n-miki  »  (je  fais  du  rog-n-miki)  pour  exprimer qu’ils  ne  suivent  ni  l’islam  ni  le  christianisme.  Le  rog-n-miki  fait  donc le  lien  entre  culture,  tradition  et  religion.

Dans la Province du Nahouri au sud-est du Burkina Faso, où la majo- rité de la population appartient au groupe socioculturel Kasena, les termes « diin », ou « culu » sont fréquemment utilisés en guise de synonymes du mot « culture ». Ces mêmes termes sont utilisés pour designer la tradition. Diin signifie littéralement « hier » et évoque l’héritage légué par les parents ascendants. Cette idée est exprimée à travers

 

Rencontres religieuses et dynamiques sociales au Burkina Faso

 

la  périphrase  :  «  Ce  que  nous  sommes  nés  trouver  »  (EDPibaRnEnaUlVugEdiAyiMALION

won kulu) qui est souvent utilisée par les populations. Le mot « culu », dont  se  servent  certains  locuteurs  du  kasim  (langue  des  Kasena)  pour designer  culture/tradition,  signifie  aussi  «  interdit  ».  Cela  peut  vouloir traduire l’idée selon laquelle les normes et interdits socioculturels sont fixés  par  la  tradition  transmise  de  génération  en  génération.  Le  même terme « culu » est utilisé pour exprimer des faits et des rites de la pra- tique  des  religions  traditionnelles.

En dioula, langue véhiculaire très répandue dans l’Ouest du Burkina Faso,  l’expression  la  plus  usitée  pour  désigner  la  culture  est  «  kôrôlen ko » (les choses du passé). C’est aussi le mot qui sert à désigner la tradition. De nos jours, l’expression s’est enrichie avec un mot accolé (lônkô) qui signifie les savoirs (savoir-faire, savoir-être) : « lônkô à ni kôrôlenkô » (les savoirs et les choses du passé). En fulfudé le terme finaatawaa est identique  au  rog’n  miki  des  Moose.  Il  est  indistinctement  utilisé  pour désigner  tradition  et  culture,  comme  le  terme  gurmachema  maasuagu. Loin d’être des confusions terminologiques, la difficulté de spécification entre tradition, religion et culture traduit le rapport que les hommes entretiennent  avec  ces  réalités  dans  le  sens  de  la  construction  de  leur identité. Dans les mots et expressions des langues du Burkina Faso, les différences  entre  culture,  identité,  religion  et  tradition  se  confondent, traduisant  ainsi  l’acceptation  de  l’idée  que  toute  culture  est  traditionnelle.  Suivant  cette  conception,  la  distinction  entre  sociétés  dites  traditionnelles  et  sociétés  dites  modernes  ne  fait  guère  sens.  L’attention portée  aux  mots  intraduisibles  explicite  les  discordances,  soumet  à  la réflexion et complique l’universel. La focalisation sur ces intraduisibles nous  permet  de  ne  pas  viser  une  quelconque  concordance  des  valeurs éthico-religieuses,  dont  il  faudrait  comprendre  l’analogie  ou  l’hétérogénéité.  En  revanche,  elle  nous  invite  à  partir  des  mots  eux-mêmes  et non pas des concepts (Cassin 2016 : 82).

Si la culture prend en compte tous les éléments de sociabilité d’hier et d’aujourd’hui, la tradition aussi dans son dynamisme propre, parvient à embrasser des choses nouvelles du fait des mutations sociales. De telles considérations sont développées dans les attitudes et comportements en lien avec les religions dites traditionnelles.

Le mot « religion » ne trouve pas non plus son équivalent dans les langues du Burkina Faso. Il n’existe pas de terme approprié pour exprimer dans sa globalité ce que renferme le concept de religion selon le monde occidental, qui d’ailleurs n’a trouvé aucun consensus à ce propos. Toutefois, il existe dans tous les groupes socioculturels du Burkina Faso

 

la  conviction  de  l’existence  d’une  puissance  supérieuErePqRui EimUpVosEe  dAesMALION postures à chaque membre de la communauté. De ce fait, existent des

croyances et des pratiques qui en découlent. Elles s’expriment en termes de quête permanente d’une symbiose désirée entre les hommes, entre les humains et la nature entre le monde visible et celui invisible. Ces pratiques expriment la recherche d’un mieux-être ici-bas et maintenant, mais aussi dans le futur de l’au-delà. Elles contribuent à la formulation de réponses aux questions liées au fonctionnement du monde. La relation harmonieuse entre l’homme et l’invisible (les vivants et les morts) est au centre des préoccupations des religions traditionnelles.

Les  religions  traditionnelles  africaines  ne  sont  pas  de  religions  institutionnalisées.  Elles  n’ont  ni  clergé  sacerdotal,  ni  lieu  de  culte  édifié unique,  ni  doctrine  enseignée  et  pas  de  texte  écrit  qui  fait  autorité. Une  religion  traditionnelle  s’appuie  sur  l’autorité  de  la  tradition  par opposition  aux  religions  révélées  ou  religions  du  Livre,  qui  tirent  leur légitimité du Livre Saint (Hefner 1993 : 21). L’exécution des rites permet d’éviter les malheurs et de trouver des solutions aux problèmes existentiels (Denis 2007). La tradition est la sève des religions traditionnelles. C’est  pourquoi  les  religions  traditionnelles  sont  en  adéquation  avec  la culture, dont elles sont l’émanation. Faisant corps avec la culture, l’une de ses particularités est qu’on naissait adepte de fait de la religion traditionnelle. C’est pourquoi de nos jours encore, ses défenseurs avancent le fait qu’elle n’oblige personne à y adhérer de force, comme cela s’est avéré historiquement avec le christianisme et l’islam. Elle ferait preuve de  tolérance  envers  ceux  qui  ne  savent  pas.  Chez  les  Kasena,  toute personne étrangère qui viendrait par mégarde à s’assoir sur l’autel des ancêtres  (nabari)  qui  trône  devant  chaque  habitation  d’où  est  issu  le lignage principal, serait invité à se lever sans d’autre forme de sanction. Pourtant  cet  autel  est  un  lieu  sacrificiel  de  grade  importance  dans  la pratique  de  la  religion  traditionnelle.  Cette  tolérance  est  affirmée  par Mélégué  M.  Traoré,  personnalité  politique  burkinabè  et  grand  adepte des  religions  traditionnelles.  Cet  auteur  estime  que  pratiquer  une  religion  traditionnelle,  c’est  vivre  sa  culture,  surtout  qu’à  l’époque  de  la rencontre des cultures, celles des Africains ont été malmenées par celles de  l’Occident  à  travers  des  préjugés  méprisants  2.

Poursuivre sa religion traditionnelle induit, dans le contexte de la rencontre et du métissage, une réflexivité tout à fait comparable à celle des religions du Livre demandant constamment la réaffirmation de la foi. Cependant, élément important de la culture, l’expression d’une religion traditionnelle marque différents aspects de la socialisation, d’où la difficulté de bien circonscrire l’appellation.

« RELIGION TRADITIONNELLE », UNE APPELLATION HISTORIQUEMENT CHARGÉE

Dans  une  analyse  très  fouillée,  Emelie  Tremblay,  de  l’université  du Québec   à   Montreal,   étudie   l’évolution   du   concept   et   les   enjeux idéologiques  (Tremblay  2015).  La  notion  de  religion  traditionnelle africaine  aurait  été  proposée  par  Geoffrey  Parrinder  dans  les  années 1950  pour  remplacer  des  appellations  critiquées  telles  que  «  religions primitives  »,  «  religions  tribales  »,  «  animisme  »,  qui  comportent  des connotations péjoratives, évolutionnistes ou ethnocentriques (Cox 2007). Elle  a  ensuite  été  reprise  par  des  générations  de  chercheurs  africains et  occidentaux,  tout  en  continuant  de  subir  des  contestations  de  part et  d’autre.  Parrinder,  dans  West  African  Religion  (1949),  compare,  à partir d’études ethnographiques, les systèmes religieux de trois peuples africains à savoir les Ewe, les Akan et les Yoruba. Cette comparaison lui permet de tirer la conclusion que leurs conceptions religieuses ont plus de  points  de  rencontres  que  de  différences.  Cette  diversité  ne  devrait pas  être  cause  de  rejet  d’une  appellation  commune,  à  l’image  de  ceux que l’on désigne dans le français courant au Burkina Faso comme « les religions importées ». Ainsi, la religion traditionnelle africaine adopterait des formes différentes selon les régions, qu’il s’agisse des rituels adressés aux  ancêtres  ou  de  la  manière  de  concevoir  l’existence  de  Dieu.  Aussi ambigu et chargé historiquement qu’il puisse être, le terme de « religion traditionnelle » vise à exprimer la particularité selon laquelle les entités ainsi désignées n’ont pas de concepts religieux standardisés définis sous forme de texte, mais dépendent de la situation. L’adjectif « traditionnel » ne  fait  donc  pas  référence  à  une  stabilité  présupposée  de  ce  type  de religion  –  les  traditions  ne  sont  que  permanentes  et  durables  dans l’imagination  des  personnes  concernées  (Hobsbawm  &  Ranger  1983  ; Ranger  1993)  –,  mais  au  type  de  légitimité  qui  lui est  inhérent.

Les mouvements nationalistes liés aux luttes pour la décolonisation de l’Afrique au milieu du XXe siècle, ont été marqués par l’affirmation de l’identité africaine en réaction aux pratiques humiliantes et aux pensées coloniales condescendantes relayées par les écrits d’ethnologues, d’explorateurs et de missionnaires. Les missionnaires et anthropologues européens ont été fortement critiqués pour leurs manières de décrire la vie religieuse africaine et les concepts qu’ils employaient pour traduire leurs observations. Les premiers, pour avoir discrédité les croyances religieuses comme superstitions associées aux fétiches des païens et pour avoir considéré le christianisme comme étant la seule vraie religion, et les seconds, pour leur « science colonialiste » qui a dépeint les sociétés africaines comme primitives.

 Le rangement des religions humaines dans des classEifiPcaRtioEnsUsVavEantAesMALION

– animisme, fétichisme, polythéisme – a été entrepris par des générations de missionnaires et de chercheurs, de telle sorte que chaque terme a   sa théorie et son historicité propre. Les notions « animisme », « fétichisme », « paganisme », « polythéisme » se contentent en général de retenir un aspect particulier de la pratique considérée qui organise notre expérience du monde social, naturel et surnaturel. C’est l’importance accordée à l’une ou l’autre de ces pratiques qui donne à une culture  son profil, et s’exprime, notamment, dans ses rituels et ses croyances. L’animisme a été défini par Edward B. Tylor (1832-1917) comme la croyance selon laquelle la nature est régie par des esprits analogues à  la volonté humaine. Il y voyait la forme primitive ayant engendré toutes les religions. Ce terme a été largement adopté par les missionnaires et les administrateurs coloniaux pour décrire les croyances et institutions religieuses  qu’ils  trouvaient  sur  place  et  va  souvent  de  pair  avec le « paganisme », inventé par la théologie missionnaire qui exprimait ainsi l’idée d’une simplicité supposée des conceptions religieuses païennes par rapport aux religions du Livre. Le terme de fétichisme, Charles de Brosse l’emploie pour la première fois en 1760 pour désigner des cultes rendus à des objets matériels. Largement repris par l’ethnologie française du XIXe siècle, l’expression reste liée à l’opposition entre religion et magie. Le parcours du terme fétichisme se situe aujourd’hui plutôt en dehors des travaux anthropologiques, tandis qu’une série d’écrits contemporains des anthropologues amazonistes, à la suite de Descola (2005), pour- suivent des réflexions sur l’animisme et le retour de l’animisme dans les pratiques en dehors des sociétés traditionnelles et des thérapies néo- chamaniques. En revanche, dans le français courant au Burkina Faso les locuteurs utilisent les termes de « fétiches » pour désigner certains objets rituels et « animisme, animiste » pour nommer la religion traditionnelle et ses adeptes. Ce dernier terme est également repris dans les statistiques nationales comme une des modalités pour recenser l’appartenance religieuse, ainsi que dans les journaux et quotidiens sans pour autant se référer au bagage historique ambigu de ces termes.

Puisque la croyance en l’existence d’un Dieu unique a longtemps été déniée « aux animistes africains », la question – est-ce que les Africains croyaient ou non en un Dieu unique ? – est devenue pour de nombreux intellectuels africains au tournant des indépendances une manière d’affirmer la valeur des religions traditionnelles africaines au même titre que celles des religions dites universalistes. Les futurs hommes politiques Ghanéens J.B. Danquah (1895-1965) et Kofi A. Busia (1913- 1978) et le Kenyan Jomo Kenyatta (1893-1938), formés en Angleterre par Malinowski, Radcliffe-Brown, Fortes et Evans-Pritchard, ont tous défendu l’existence de la croyance en un Dieu suprême chez différents

 

Rencontres religieuses et dynamiques sociales au Burkina Faso

 

peuples africains avant l’arrivée des missionnaires chEréPtieRnEs. UToVutEefoAis,MALION les intellectuels africains, de gauche pour la plupart, étaient face à un dilemme : comment défendre la culture africaine sans faire l’apologie de la religion, cet « opium du peuple ». Ce qui expliquerait sans doute que la question de la religion traditionnelle n’ait pas été au cœur des luttes d’indépendance.  D’autant  plus  que  leurs  diversités  s’accommodent  peu de la volonté de rassembler autour d’une cause commune panafricaine. Cependant,  non  seulement  différents  intellectuels  africains  de  cette époque,  mais  aussi  certains  missionnaires  européens,  et  théologiens africains  3,  ont  mis  l’accent  sur  la  tendance  monothéiste  des  religions traditionnelles  afin  de  pouvoir  calquer  plus  facilement  des  concepts chrétiens  sur  les  croyances  locales.  Le  placage  du  monothéisme  sur  la culture locale reflète le désir des missionnaires de rehausser la religion de  leurs  futurs  catéchumènes  et  le  souci  des  théologiens  africains  de valoriser leurs cultures d’origine. La tentative de montrer que l’Africain croit aussi en un Dieu unique et qu’il est un « être essentiellement religieux » (Mbiti 1969) a aussi contribué à maintenir pendant longtemps le  cliché  de  l’Afrique  incurablement  religieuse  (Langewiesche  2003  : 105).  Dans  sa  préface  du  livre  Textes  sacrés  d’Afrique  noir,  Amadou Hampaté  Bâ  4   donne  un  bel  exemple  de  ce  stéréotype  de  «  l’Afrique incurablement  religieuse  »  où  «  l’incroyance  »  n’aurait  pas  de  place.  Il présente comme suit la place des religions traditionnelles :

Essayer de comprendre l’Afrique et l’Africain sans l’apport des religions traditionnelles serait ouvrir une gigantesque armoire vidée de son contenu le plus précieux. […] La religion, en Afrique, ne consiste pas seulement à respecter les dogmes établis pour rendre hommage à un Dieu unique  ou à des dieux multiformes. Elle est l’armature de la vie. Elle charpente toutes les actions publiques et privées de l’homme ; ceux qui se disent incroyants, s’ils vivaient en Afrique, verraient leur conviction ébranlée. (Dieterlen 1965)

Au-delà de toute catégorisation, il est certain que l’analyse des religions traditionnelles change en fonction de l’idéologie et des théologies des auteurs, ainsi que des contextes historiques et politiques dans lesquels ils évoluent et publient. Il convient de s’intéresser de façon empirique aux multiples expressions d’une religion traditionnelle, de les décrire et d’analyser leurs changements et significations pour nos contemporains, en tenant compte des perspectives que l’un ou l’autre auteur défend.

Au Burkina Faso, les religions traditionnelles vivent surtout à tra- vers une diversité de pratiques, mais aussi grâce à des syncrétismes avec l’islam et le christianisme. Malgré les statistiques disponibles sur les différentes religions et leurs adeptes, il n’est pas rare d’entendre cette boutade : « 100 % des Burkinabè sont animistes », pour montrer l’ancrage des pratiques de la religion traditionnelle dEanPsRlaEsoUciVétEé. EAnMALION témoigne ce fait anecdotique dans la commune rurale de Réo, dans la région du centre-Ouest. De décembre 2017 à avril 2018, le conseil municipal, n’a pu se tenir parce que des conseillers accusent le maire d’avoir utilisé des rites de la religion traditionnelle pour les anéantir. Le maire aurait été surpris effectuant une visite nocturne dans la salle de réunion de la mairie, la veille de la tenue du conseil. Il aurait, par des sacrifices rituels traditionnels, marqué les sièges des conseillers d’une substance noirâtre. Les accusateurs sont pourtant des croyants catholiques et musulmans .

Partout dans le pays de nombreux Burkinabè adeptes de l’islam et du christianisme, en cas de malheur, de maladie ou face à des problèmes sociaux divers, n’hésitent pas à « aller au village pour consulter ». Dans sa thèse portant sur l’analyse des éléments du rituel d’investiture du souverain dans l’Est du Burkina Faso, Louari écrit :

Le recensement général de la population et de l’habitat (RGPH) du Burkina Faso de 2006, précise que la population de la région de l’Est du Burkina Faso, région du Gulmu, est en majorité de religion musulmane à plus de 60%, suivi de la religion traditionnelle, puis celle chrétienne. En réalité, dans la vie pratique, tout Gulmance est de religion traditionnelle, car il n’hésite pas à y recourir dès que survient un quelconque problème. (Louari 2018 : 87)

Ce ne sont pas seulement les Gourmantché, mais beaucoup de Burkinabè qui acceptent volontiers tout ce qui leur est proposé sur le plan culturel pour résoudre un problème donné. Pourtant ces solutions passent le plus souvent par des rites, et sacrifices liés à la religion traditionnelle.

LES RITES DANS LES RELIGIONS TRADITIONNELLES

Ils sont nombreux les Burkinabè qui font des sacrifices (imposés par la divination) de façon ordinaire ou dans des situations conjoncturelles.  Il n’est pas rare de voir des divinations maraboutiques aboutir à des prescriptions qui ont une relation forte avec les religions traditionnelles. C’est ainsi que pendant les périodes préélectorales pour les politiciens, ou d’examen pour les élèves, les lieux privilégiés de sacrifices tels que les carrefours de rue et les termitières sont envahis par des offrandes sacrificielles de toutes sortes, y compris dans les grandes villes. La demande de protection des ancêtres et autres divinités est culturellement normale. Ce constat a déjà été fait en 1934 dans  Le secret des sorciers noirs de Dim Dolobsom, par Robert Randau, le préfacier de l’ouvrage :

 

On  a  souvent,  dans  le  monde  colonial,  la  mauvaise  hEabPituRdeEdU’apVpeElerAMALION fétiche une effigie de terre, de bois ou de pierre, que l’on estime représenter une divinité. Ceci est loin d’être toujours exact. Le plus souvent, dans les pays soudanais, chaque famille a ses puissances protectrices, attachées dès l’origine, par un rituel compliqué, à un assemblage de diverses substances qu’a groupé et sensibilisé, grâce à des incantations et à des sacrifices, un voyant-de-choses-cachées. Ces puissances sont maintenues et accrues par l’être qu’elles protègent, au cours des cérémonies annuelles, ou à l’occasion de quelque consultation… (Dim Dolobsom 1934 : 8)

Bien  que  les  rites  et  les  représentations  des  divinités  (masques,  sta- tuettes, autels, etc.) soient différents d’une ethnie à une autre, les reli- gions traditionnelles africaines présentent cependant de nombreux points communs,  à  savoir  la  croyance  en  un  seul  Dieu.  Le  Dieu  suprême  est souvent assimilé au Ciel et associé à la divinité Terre. En plus, il existe des  puissances  protectrices  et  des  ancêtres  lignagers  que  les  vivants n’auront  de  cesse  d’invoquer  et  d’associer  à  toutes  les  activités  de  la vie  quotidienne.  Pour  atteindre  Dieu,  il  y  a  nécessité  de  s’adresser  à des  puissances  intermédiaires.  Le  sacrificateur  kasena,  lors  d’un  rite religieux,  interpelle  directement  et  de  façon  hiérarchique  les  aînés  de lignage, pour leur demander d’intercéder auprès de l’ancêtre du lignage, qui  à  son  tour  portera  l’offrande,  voire  la  sollicitation  à  Dieu.  Au  pas- sage il invoque « sa femme, la Terre ». Dans la pratique d’une religion traditionnelle, on n’est pas toujours obligé soi-même de procéder à un sacrifice.  Cela  peut  être  fait  en  votre  nom.  Cette  facilité  «  couvre  »  de nombreux chrétiens ou musulmans obligés de participer à des cérémo- nies ou des rituels traditionnels lors desquels des prières sont adressées, en leurs noms, aux puissances tutélaires. Dans la société traditionnelle, pour  assurer  l’harmonie  du  groupe,  les  aînés  de  lignage,  les  chefs  de famille  sont  généralement  les  premiers  guides  spirituels  de  la  religion traditionnelle. Ils sont tenus d’éduquer l’enfant dans ce sens et de prati- quer un certain nombre de rites périodiques. Il existe aussi en fonction des autels et des divinités concernés des responsables rituels attitrés au sein de la communauté. Chez les Kasena, par exemple, sur les tangwana qui sont des autels dispersés sur l’espace villageois (colline, cours d’eau, bosquet…),  seul  le  tagwam-tu  (responsable  du  tangwam),  peut  faire des  sacrifices  au  nom  des  membres  des  lignages.  Chaque  tangwam est supposé abriter les souffles de deux lignages associés (Liberski-Bagnoud 2002 ; Kibora 1997). Dans de nombreuses sociétés du Burkina Faso, la divination  joue  un  grand  rôle.  C’est  le  devin  qui  sait  interpréter  «  les choses  cachées  ».  Il  lit  les  messages  des  invisibles  pour  indiquer  la conduite  à  tenir  et  les  rites  ou  sacrifices  à  accomplir.

Les rites des religions traditionnelles sont effectués de façon individuelle ou communautaire. Il existe des rites périodiques comme des rites circonstanciels. De nombreuses expressions culturellesEcPomRmEeUleVs iEnitiAa-MALIONtions et les sorties des masques sont fortement associées aux pratiques des religions traditionnelles. De même, avant de poser un quelconque acte du quotidien, il est important d’invoquer les ancêtres et/ou de faire des sacrifices, pour conjurer le mauvais sort, et se mettre sous bonne protection des divinités qui sont partout. De telles pratiques demeurent vivaces en milieu rural et surtout dans les zones où, selon les statistiques 

1. Lebenga dans la région de Gourcy en mai 2017. Photo par Adrien Bitibaly

nationales  (INSD  2009),  la  pratique  des  religions  trEadPitRionEnUellVesEresAteMALION importante. C’est le cas du Sud-Ouest où les Lobis forment l’une  des communautés qui a le plus conservé sa religion traditionnelle. Ils croient en  un  être  suprême  Thãgba,  créateur  de  tous  les  êtres  vivants.  Thãgba demeure le destinataire ultime de toutes les prières et sacrifices qui sont offerts aux ancêtres et aux nombreuses entités spirituelles représentées par  les  éléments  de  la  nature  (eaux,  montagnes,  cavernes,  etc.).  La plupart  des  Lobis  croient  aux  kontinbiir  (génies),  êtres  surnaturels  de petites  tailles  habitant  les  forêts  sacrées,  les  collines,  les  clairières,  les eaux,  etc.  Ils  sont  providentiels  lorsqu’on  parvient  à  entrer  dans  leur bonne  grâce.  Par  contre,  ils  peuvent  être  source  de  démence  ou  de déviance  sociale  en  cas  de  conflit  avec  eux.  La  statuaire  très  répandue dans  cette  communauté  est  aussi  un  canal  de  communication  avec  les différentes puissances surnaturelles. Généralement en bois ou en pierre, on  en  trouve  dans  chaque  habitation.  La  croyance  en  l’existence  des puissances surnaturelles dans les bosquets, forêts sacrées, les cours d’eau, les  collines  est  partagée  par  de  nombreuses  communautés  burkinabè. C’est  le  cas  aussi  des  Kasena  cités  plus  haut.  En  milieu  rural  surtout, de nombreuses pratiques demeurent fortes, même si elles composent au besoin avec des éléments de l’islam ou du christianisme. Le plus souvent, il n’est pas rare de voir les populations combiner les deux formes de pra- tiques devant certaines situations sociales 6. La spécificité du culte dans les religions traditionnelles est qu’il n’est pas obligatoirement quotidien. Le  rite  ne  se  déroule  pas  non  plus  sur  la  place  publique  ou  dans  un édifice déterminé. Dans des endroits fortement christianisés ou islamisés, les notables des religions traditionnelles sont parfois chargés d’effectuer publiquement des rituels au nom du village ou du lignage, même si l’un ou l’autre sont composés à 90 % de chrétiens ou de musulmans qui ne s’afficheront pas lors des cérémonies. Pour que la protection du lignage soit assurée, il suffit parfois qu’un membre endosse la responsabilité de poursuivre  les  rites  exigés  par  la  tradition  afin  d’en  dispenser  tous  les autres.  Cette  discrétion  favorise  des  expressions  syncrétiques.

Dans le contexte contemporain de nos sociétés interconnectées, on peut s’attendre à ce que les religions traditionnelles dépassent le cadre strictement local et étendent leurs influences dans d’autres continents culturels, notamment à travers les diasporas et les migrations. Olupona (2006) souligne que les religions traditionnelles contemporaines sont, comme toutes les autres religions, un produit de la globalisation. Pourtant, le renouveau des  identités  locales  au  sein  de  la  diaspora et leur rapatriement dans les pays d’origine, ainsi que les processus    de changement qui en résultent,  n’ont  pas  encore  été  étudiés  pour le Burkina Faso. On peut cependant nommer l’exemple de Malidoma Patrice Somé qui se décrit comme un chaman de l’Afrique, envoyé pour

enseigner à l’Occident « la sagesse, les technologies et les pratiques qui soutiennent son peuple, les Dagara, depuis des milliers d’années » 7. Sa défunte épouse Sobonfu E. Somé l’a aidé dans cette tâche. Ensemble, ils ont enseigné lors de séminaires internationaux, notamment en Amérique et en Allemagne. Les activités de Malidoma s’adressent à un public New Age en Europe et en Amérique, ainsi qu’aux Afro-Américains qui veulent approcher leurs racines africaines sur un plan spirituel et qui sont prêts à payer le prix approprié. L’entreprise religieuse de ce chef religieux est une des expressions les plus visibles des religions tradi- tionnelles burkinabè à l’étranger, où celui-ci intègre sa publicité en tant que « chaman africain » au sein des réseaux mondiaux de la spiritualité du New Age et en tant que représentant de l’authenticité religieuse afri- caine. Cet exemple permet de souligner que les réseaux de la diaspora ne doivent pas être négligés pour appréhender les changements d’une religion localisée en Afrique. Une perspective transnationale montre que la circulation des idées, des pratiques, de l’argent et des personnes conduit, par des va-et-vient entre l’Afrique et l’Europe, à la création d’espaces d’échanges religieux qui demandent à être examinés au regard de leurs répercussions sur l’Afrique.

 

 

LES RELIGIONS TRADITIONNELLES DANS LE CONTEXTE DE MONTÉE DE L’EXTRÉMISME VIOLENT

Les religions traditionnelles au Burkina Faso précèdent les deux grandes religions que sont l’islam et le christianisme. L’islam, qui est de loin    le premier à avoir été introduit, a évolué jusqu’à maintenant dans un contexte conciliant, en favorisant l’expression d’un « islam local ». Entre douce séduction et violente réaction, le christianisme a eu du mal à s’attaquer aux cultes traditionnels et à leurs symboles. La mise en œuvre de la politique d’inculturation par l’église catholique a plutôt favorisé (même si tel n’était pas le but) un métissage religieux.

Le désir des nouvelles religions de vouloir séparer l’homme africain de son univers religieux d’origine, s’opposait à des résistances. Faute de pouvoir supprimer les traditions africaines, il convenait de les tolérer. C’est certainement pour cette raison que l’église ne cesse d’exhorter   les fidèles à un nouveau regard sur les autres traditions religieuses (Mafuta 2010 ; Mortensen 2003). Les membres de certains courants évangéliques et les adeptes d’un islam rigoriste, sont de nos jours connus comme ceux qui s’insurgent contre ces pratiques religieuses métissées ou considérées comme purement traditionnelles.

En théorie, toutes les religions qui existent au Burkina Faso disent prôner la paix et la tolérance. Toutefois, on constate de plus en plus   de propos et d’actes d’intolérance religieuse de la part de personnes    se réclamant de telle ou telle religion. L’absence d’une organisation unique (type clergé hiérarchisé) dans les autres religions en dehors    du catholicisme rend difficile tout contrôle à ce niveau, bien que les associations faîtières ou certaines grandes associations confessionnelles (AEEMB, Cerfi) jouent parfois un rôle de médiateur. Pour les religions traditionnelles, qui sont caractérisées par une diversité des pratiques, la multiplicité des expressions rend encore plus difficile leur contrôle. Toutefois, le constat est que sur l’ensemble du territoire, les religions traditionnelles entretiennent des relations de coexistence pacifique avec les religions du Livre. Historiquement les « religions importées » sont passées par des manœuvres diverses, y compris la force, pour avoir des adeptes. De telles attitudes sont inimaginables de la part des religions traditionnelles. Néanmoins, au sein de la population, il existe de plus en plus de personnes qui considèrent que les religions traditionnelles n’offrent plus l’aspect complet des religions islamiques ou chrétiennes, au niveau des croyances et des pratiques. En milieu urbain, hormis certains « activistes intellectuels » 8, tout se passe comme si ce n’est pas « politiquement correct » de se réclamer d’une religion traditionnelle. La pratique religieuse traditionnelle s’exprime dans une certaine discrétion à l’occasion d’un rite qui vise à régler des problèmes sociaux ou de santé, d’emplois,  etc.  Ainsi,  un  aspect  qui  renforce  l’existeEnPceRdEesUreVliEgioAnsMALION traditionnelles est leur lien très étroit avec la médecine traditionnelle.

Les expressions les plus visibles de ces religions traditionnelles africaines en ville se trouvent dans les pratiques spécialisées des tradipraticiens, des guérisseurs et des devins, qui fournissent des biens et des services spirituels. En cas de problème de santé, le patient et ses proches ne se préoccupent pas souvent des rites religieux qui accompagnent la pratique thérapeutique traditionnelle. Seul le résultat final compte. Certains « leaders musulmans ou chrétiens » qui excellent dans les prières de guérison donnent l’impression de mêler des rites « païens » dans leurs pratiques. Cela donne des arguments aux praticiens des religions tradi- tionnelles sur la nécessité de leur existence, qu’ils considèrent comme plus directe, plus originelle.

Au Burkina Faso, les leaders religieux, dans leur ensemble, sont convaincus du bien-fondé de la coexistence pacifique entre les diffé- rentes confessions religieuses. Ils essayent d’entretenir cette dynamique à travers l’instauration du dialogue interreligieux. Les religions tradi- tionnelles ne sont pas oubliées en théorie, mais l’impression qui se dégage est qu’elles sont marginalisées. Durant les dernières années, nous assistons à de nombreux efforts de concertations 9 et d’échanges entre les différentes confessions religieuses au Burkina Faso pour ren- forcer la cohésion sociale. Par cette démarche, les différentes religions parviennent à créer une nouvelle attitude d’ouverture et de coopération, ou même d’engagement et de lutte contre l’extrémisme violent. À cet égard, le dialogue interreligieux est appelé à canaliser les forces vers la lutte contre le terrorisme. Le dialogue interreligieux – englobant autant la rencontre de dirigeants de différentes religions lors de conférences ou de cérémonies religieuses, que la connaissance des doctrines par tous les croyants et parfois des actions conjointes dans des domaines socialement pertinents – est considéré par les décideurs publics comme l’une des possibilités de combattre les conflits religieux. Des actions préventives de coopération et de lutte contre le radicalisme sur une base interreligieuse ont été préconisées afin de freiner les germes contemporains du conflit dans le Nord du Burkina Faso, en particulier dans la région du Soum par le think tank International Crisis Group (2017 : 22), par le programme USAID PDEV II et par l’UE 10. La panacée du dialogue interreligieux tend à suspendre les significations souvent litigieuses et les conséquences problématiques de ce concept, comme par exemple la marginalisation des religions traditionnelles. En effet, dans toutes ces actions, soutenues directement ou indirectement par l’état et ses partenaires, aucune action conséquente n’est menée à l’endroit des religions traditionnelles. Il y a comme une gêne, même de la part de l’autorité publique à les considérer au même titre que les autres. Les raisons pour lesquelles les religions traditionnelles  n’ont  pas  obtenu  une  plus  grande  aEttPenRtiEonUmVéEriteAntMALION l’analyse. Plusieurs auteurs soutiennent l’hypothèse que les religions traditionnelles seraient toujours perçues comme archaïques, primitives et fermées sur elles-mêmes, donc contraires au développement et à la modernité à cause de l’utilisation, presque obsessionnelle, des concepts de paganisme, fétichisme ou animisme qui renforcent l’imaginaire que les religions traditionnelles seraient quelque chose de radicalement différent (Cox 2007 ; Olupona 2004 ; Harvey 2000).

Les chefs traditionnels sont sollicités pour renforcer l’assise sociale des religions traditionnelles (Kibora 2012). C’est ce que reconnaît l’un deux, le  Dapoya  Naaba,  un  des  ministres  du  roi  de  Ouagadougou  (Moogho Naaba)  :

Les coutumiers ont mis en place un conseil supérieur de la chefferie coutu- mière et traditionnelle qui regroupe tous les coutumiers du Burkina Faso. Il réunit, deux à trois fois par an, toutes les religions pour voir comment est-ce qu’ils vont travailler pour amener les autres religions à se souder 11.

L’enjeu  de  ce  cadre  est  de  surveiller  et  d’éteindre  les  foyers  latents susceptibles  d’alimenter  des  crises  et  l’extrémisme  violent.  Les  chefs coutumiers sont l’exemple patent de pratiques de croyances religieuses multiples. En effet, bien que la plupart d’entre eux soient de nos jours chrétiens ou musulmans, cela ne les empêche pas de pratiquer des rites religieux  traditionnels.  La  religion  traditionnelle  est  si  fortement  liée à  un  ordre  politique  soutenu  par  les  chefferies  que  cet  amalgame  fait indubitablement  des  chefs  des  représentants  de  la  religion  tradition- nelle,  même  si  ces  derniers  se  réclament  chrétiens  ou  musulmans.  En réponse  à  une  interview  de  Naaba  Kiiba  12   (Roi  du  Yatenga)  accordée au  journal  l’Observateur paalga du  27/07/09,  un  communicateur  avait écrit  ce  qui  suit  :

Chefs  coutumiers  du  Burkina  Faso,  vous  le  savez  bien  plus  que  tous  : vous  êtes  garants  de  la  tradition  et  des  coutumes  ;  ce  qui  est  un  pouvoir noble  et  un  noble  pouvoir.  Tout  pouvoir  vient  de  Dieu,  dit-on.  Le  vôtre également, puisque la religion traditionnelle reconnaît l’existence d’un Dieu suprême,  qu’elle  désigne  sous  l’expression  mooré  «  Naaba  Ziid  Wendé  » (le Roi Dieu), et dit que la terre serait son épouse selon la formule sacrée «  Naaba  wend  pa  yuud  koom  la  paaga  Teng  yuuda  koom  »  (Dieu  ne  boit pas  de  l’eau  mais  son  épouse,  la  Terre  en  prend).  Votre  pouvoir,  vous  le détenez  donc  de  «  Naaba  Wendé  »  par  l’intermédiaire  des  ancêtres,  qui contrôleraient  l’exercice  de  ce  pourvoir.  13

Le rapport historique entre le cycle annuel religieux et l’ordre politique traditionnel se perpétue par le rôle prépondérant que les royautés ou chefferies jouent sur le plan religieux actuellement. Ce qui donne de l’espoir aux adeptes des religions traditionnelles, même si ceux qui s’en réclament  publiquement  sont  de  moins  en  moins  noEmbPreRuxE. UEnVoEutrAe,MALION en réaction aux actes terroristes qui secouent le Burkina Faso, nombreux sont les Burkinabè qui ne verraient pas d’un mauvais œil des réactions appropriées de groupes d’auto-défense (Koglweogo, Dozo) qui mettent leurs actions sous le couvert des pratiques mystico-religieuses … tra- ditionnelles. Les Koglweogo (littéralement « garder la brousse ») dans le Nord du pays et les Dozo dans l’Ouest sont des groupes auto-organisés, fondés sur l’appartenance fictive ou réelle à des groupes d’âge    et d’initiation. Ils utiliseraient la force que l’imaginaire attribue aux chasseurs et à leur maîtrise des pratiques magiques tout autant que leurs connaissances de la géographie du terroir et des plantes que leur habilité à manipuler les armes afin de protéger la population locale contre le banditisme et l’extrémisme violent 14. Se situant en dehors   du droit étatique, les dérives ou les risques d’instrumentalisation de  ces hommes et femmes au nom d’une tradition « authentiquement africaine » sont évidemment réelles.

 

CONCLUSION

Dans la période post-indépendance, de nombreux intellectuels revendiquaient l’importance des religions traditionnelles parce qu’elles représentent une part entière de l’identité culturelle africaine. Les discours sur l’affirmation de la culture africaine dans tous les domaines de la vie sociale, n’ont pas pour autant, favorisé le développement des pratiques religieuses traditionnelles. Les idéologies marxisantes que la plupart  de ces intellectuels partageaient ne pouvaient pas s’accommoder d’un militantisme pro-religieux, fut-il traditionnel. L’évolution sociopolitique du Burkina Faso a montré que le pouvoir moderne a souvent eu des contradictions fortes avec celui coutumier (voir la contribution de Beucher dans ce volume). Ce fut le cas bien avant l’indépendance 15, jusqu’au premier président Maurice Yaméogo qui ne voyait pas d’un bon œil l’immixtion de la cour royale de Ouagadougou dans les affaires publiques. La tension sera plus vive pendant la révolution démocratique et populaire (1983-1987) où le pouvoir traditionnel était assimilé aux « forces rétrogrades » qu’il fallait combattre pour avancer. Pourtant, le pouvoir traditionnel avait, dans de nombreux royaumes et chefferies, favorisé le développement des religions traditionnelles. Les conversions de certains chefs et rois au christianisme et à l’islam ont plutôt été des occasions d’un renforcement du syncrétisme religieux que de rejet des religions traditionnelles. L’expression des religions traditionnelles a aussi pâti du rejet des intellectuels révolutionnaires et positivistes, mais aussi des attaques de l’état contre la chefferie traditionnelle et tout ce qui      y était assimilé. Les religions du livre et les analyses anthropologiques présentant les religions traditionnelles comme radicaElePmRenEt dUiffVérEentAesMALION ont aussi contribué à construire un univers social où  ces  religions  traditionnelles sont marginalisées, confinées dans des rites particuliers, avec des domaines géographiques réduits. Les religions traditionnelles sont de nos jours beaucoup attendues dans la lutte contre l’extrémisme violent sans qu’on puisse spécifier clairement quelle pourrait être leur contribution. Certaines questions mériteraient d’urgence des études empiriques : quel rôle jouent les religions traditionnelles pour le bien- être et le vivre-ensemble des populations ? Comment les responsables religieux traditionnels s’impliquent-t-ils dans le développement et les relations interreligieuses ? Quel rôle jouent-ils en cas de conflits locaux et par quels mécanismes interviennent-ils ? Le nombre de plus en plus réduit de leurs adeptes déclarés ainsi que la diversité des pratiques amènent les pouvoirs publics à plutôt privilégier les leaders musulmans et chrétiens dans les actions contre la montée de l’extrémisme violent. Cela suppose aussi que l’extrémisme de la part de ces religions traditionnelles, même s’il venait à se développer, ne saurait donner lieux à des expressions et d’une ampleur comparable à celles qu’on a connues

« chez ceux du Livre ».

 

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Notes

 

  1. Le célèbre livre de Hobsbawm et Ranger (1983) sur l’invention de la tra- dition a engendré une longue discussion en anthropologie et histoire sur les concepts de tradition, culture et le changement social (Sahlins 1999 ; Ranger 1993, 1999) et des études de cas sur l’émergence des nouvelles traditions dans toutes les parties du monde (Karlsholm et Hultin 1994 ; Otto et Pederson 2005).
  2. Communication lors d’un panel organisé pendant la semaine nationale de la culture 2016 sur le thème : « Dialogue interreligieux au profit de la cohésion nationale ».
  3. Dans le contexte burkinabè des théologiens comme Kalmogo (1979), Sanon (1972, 1985, 1991) ont mis leurs connaissances sur les traditions de leurs sociétés au service de l’évangélisation. Cette approche de la religion tradi- tionnelle se lit comme une initiation anthropologique pour une pastorale pratique afin d’enraciner le christianisme dans la culture Onunwa

appelle ce courant les « Indigenous Christian Scholars » (1991).

  1. Celui qu’on appelait le Sage de Bandiagara vécut en grand musulman pratiquant, tout en prônant le dialogue
  2. Modeste Bationo, conseil municipal de Réo : Le maire accusé de pratiques mystiques, Le Pays du 23 avril 2018 http://lepays.bf/conseil-municipal-de- reo-maire-accuse-de-pratiques-mystiques/, consulté le 01/11/2018.
  3. Les messes de requiem effectuées à l’église n’empêchent pas certains chrétiens de réaliser des funérailles traditionnelles pour leurs défunts au Il en est de même des Doua de certains défunts musulmans qui précèdent des cérémonies traditionnelles propres aux religions traditionnelles en milieu rural sans oublier les pratique maraboutiques liées à la pratique de l’islam (sur les funérailles et le pluralisme religieux au Burkina Faso, voir Degorce, 2011 et Langewiesche, 2011).
  4. http://malidoma.com/main/
  5. C’est le cas de Béteo Nébie linguiste, ancien cadre de l’institut des Peuples Noirs, et des membres de la génération de Cheikh Anta Diop, tous partisans de l’égyptologie.
  6. Créée à Dori en 1973, l’Union fraternelle des Croyants (UFC) est très active dans le Sahel depuis 2005 dans cette dynamique de concertation. L’insurrection populaire de 2014 et la tentative de coup d’état de 2015    ont connu une participation active et concertée des différentes confessions religieuses pour résoudre les crises. Le 22 juin 2017 les leaders religieux   se sont retrouvés autour du chef de l’état dans son palais pour la rupture du jeûne musulman. Le 17 janvier 2018, la Radio Notre Dame du Sahel a lancé à Ouahigouya un projet de consolidation du dialogue interreligieux. En plus de l’UFC, la Commission épiscopale pour le dialogue islamo-chrétien, l’Union  des  Religieux  et  Coutumiers  du  Burkina  (URECBP) RsonEt UdeVs  EcadAresMALION de promotion du dialogue interreligieux.
  1. Projet EU (2015-1019) Neighbours South, Projet pilote pour la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent dans la région du Sahel-Maghreb ou aussi le projet STRIVE (2016).
  2. Cité selon Aïssata Laure G. Sidibé, « Ambassade des états-Unis au Burkina Faso : La liberté et la tolérance religieuse au cœur d’un échange », novembre 2017. Voir : http://lefaso.net/spip.php?article80465
  3. Ce dernier avait demandé aux journalistes de ne plus parler de l’éviction de Salif Diallo des instances du CDP, alors parti au
  4. Sibiri Nestor Samné 2009, « Chefferie traditionnelle et politique : La confusion offense le pouvoir et érode l’autorité », voir http://lefaso.net/spip. php?article32689, consulté le 31/05/18
  5. Sur le mouvement des chasseurs et la sécurité, voir les travaux de Joseph Hellweg en Côte d’Ivoire (2004, 2009) et de Sten Hagberg au Burkina Faso (2004).
  6. Le jeune député qui siégeait au Palais Bourbon, Philipe Zinda Kaboré, bien que prince de naissance, demandait à la chefferie traditionnelle de com- prendre que son temps était dépassé et qu’elle devrait s’adapter à la forme nouvelle de l’état

enseigner à l’Occident « la sagesse, les technologies et les pratiques qui soutiennent son peuple, les Dagara, depuis des milliers d’années » 7. Sa défunte épouse Sobonfu E. Somé l’a aidé dans cette tâche. Ensemble, ils ont enseigné lors de séminaires internationaux, notamment en Amérique et en Allemagne. Les activités de Malidoma s’adressent à un public New Age en Europe et en Amérique, ainsi qu’aux Afro-Américains qui veulent approcher leurs racines africaines sur un plan spirituel et qui sont prêts à payer le prix approprié. L’entreprise religieuse de ce chef religieux est une des expressions les plus visibles des religions tradi- tionnelles burkinabè à l’étranger, où celui-ci intègre sa publicité en tant que « chaman africain » au sein des réseaux mondiaux de la spiritualité du New Age et en tant que représentant de l’authenticité religieuse africaine. Cet exemple permet de souligner que les réseaux de la diaspora ne doivent pas être négligés pour appréhender les changements d’une religion localisée en Afrique. Une perspective transnationale montre que la circulation des idées, des pratiques, de l’argent et des personnes conduit, par des va-et-vient entre l’Afrique et l’Europe, à la création d’espaces d’échanges religieux qui demandent à être examinés au regard de leurs répercussions sur l’Afrique.

 

LES RELIGIONS TRADITIONNELLES DANS LE CONTEXTE DE MONTÉE DE L’EXTRÉMISME VIOLENT

Les religions traditionnelles au Burkina Faso précèdent les deux grandes religions que sont l’islam et le christianisme. L’islam, qui est de loin    le premier à avoir été introduit, a évolué jusqu’à maintenant dans un contexte conciliant, en favorisant l’expression d’un « islam local ». Entre douce séduction et violente réaction, le christianisme a eu du mal à s’attaquer aux cultes traditionnels et à leurs symboles. La mise en œuvre de la politique d’inculturation par l’église catholique a plutôt favorisé (même si tel n’était pas le but) un métissage religieux.

Le désir des nouvelles religions de vouloir séparer l’homme africain de son univers religieux d’origine, s’opposait à des résistances. Faute de pouvoir supprimer les traditions africaines, il convenait de les tolérer. C’est certainement pour cette raison que l’église ne cesse d’exhorter   les fidèles à un nouveau regard sur les autres traditions religieuses (Mafuta 2010 ; Mortensen 2003). Les membres de certains courants évangéliques et les adeptes d’un islam rigoriste, sont de nos jours connus comme ceux qui s’insurgent contre ces pratiques religieuses métissées ou considérées comme purement traditionnelles.

En théorie, toutes les religions qui existent au Burkina Faso disent prôner la paix et la tolérance. Toutefois, on constate de plus en plus   de propos et d’actes d’intolérance religieuse de la part de personnes    se réclamant de telle ou telle religion. L’absence d’une organisation unique (type clergé hiérarchisé) dans les autres religions en dehors    du catholicisme rend difficile tout contrôle à ce niveau, bien que les associations faîtières ou certaines grandes associations confessionnelles (AEEMB, Cerfi) jouent parfois un rôle de médiateur. Pour les religions traditionnelles, qui sont caractérisées par une diversité des pratiques, la multiplicité des expressions rend encore plus difficile leur contrôle. Toutefois, le constat est que sur l’ensemble du territoire, les religions traditionnelles entretiennent des relations de coexistence pacifique avec les religions du Livre. Historiquement les « religions importées » sont passées par des manœuvres diverses, y compris la force, pour avoir des adeptes. De telles attitudes sont inimaginables de la part des religions traditionnelles. Néanmoins, au sein de la population, il existe de plus en plus de personnes qui considèrent que les religions traditionnelles n’offrent plus l’aspect complet des religions islamiques ou chrétiennes, au niveau des croyances et des pratiques. En milieu urbain, hormis certains « activistes intellectuels » 8, tout se passe comme si ce n’est pas « politiquement correct » de se réclamer d’une religion traditionnelle. La pratique religieuse traditionnelle s’exprime dans une certaine discrétion à l’occasion d’un rite qui vise à régler des problèmes sociaux ou de santé, d’emplois,  etc.  Ainsi,  un  aspect  qui  renforce  l’existeEnPceRdEesUreVliEgioAnsMALION traditionnelles est leur lien très étroit avec la médecine traditionnelle.

Les expressions les plus visibles de ces religions traditionnelles africaines en ville se trouvent dans les pratiques spécialisées des tradipraticiens, des guérisseurs et des devins, qui fournissent des biens et des services spirituels. En cas de problème de santé, le patient et ses proches ne se préoccupent pas souvent des rites religieux qui accompagnent la pratique thérapeutique traditionnelle. Seul le résultat final compte. Certains « leaders musulmans ou chrétiens » qui excellent dans les prières de guérison donnent l’impression de mêler des rites « païens » dans leurs pratiques. Cela donne des arguments aux praticiens des religions traditionnelles sur la nécessité de leur existence, qu’ils considèrent comme plus directe, plus originelle.

Au Burkina Faso, les leaders religieux, dans leur ensemble, sont convaincus du bien-fondé de la coexistence pacifique entre les différentes confessions religieuses. Ils essayent d’entretenir cette dynamique à travers l’instauration du dialogue interreligieux. Les religions traditionnelles ne sont pas oubliées en théorie, mais l’impression qui se dégage est qu’elles sont marginalisées. Durant les dernières années, nous assistons à de nombreux efforts de concertations 9 et d’échanges entre les différentes confessions religieuses au Burkina Faso pour renforcer la cohésion sociale. Par cette démarche, les différentes religions parviennent à créer une nouvelle attitude d’ouverture et de coopération, ou même d’engagement et de lutte contre l’extrémisme violent. À cet égard, le dialogue interreligieux est appelé à canaliser les forces vers la lutte contre le terrorisme. Le dialogue interreligieux – englobant autant la rencontre de dirigeants de différentes religions lors de conférences ou de cérémonies religieuses, que la connaissance des doctrines par tous les croyants et parfois des actions conjointes dans des domaines socialement pertinents – est considéré par les décideurs publics comme l’une des possibilités de combattre les conflits religieux. Des actions préventives de coopération et de lutte contre le radicalisme sur une base interreligieuse ont été préconisées afin de freiner les germes contemporains du conflit dans le Nord du Burkina Faso, en particulier dans la région du Soum par le think tank International Crisis Group (2017 : 22), par le programme USAID PDEV II et par l’UE 10. La panacée du dialogue interreligieux tend à suspendre les significations souvent litigieuses et les conséquences problématiques de ce concept, comme par exemple la marginalisation des religions traditionnelles. En effet, dans toutes ces actions, soutenues directement ou indirectement par l’état et ses partenaires, aucune action conséquente n’est menée à l’endroit des religions traditionnelles. Il y a comme une gêne, même de la part de l’autorité publique à les considérer au même titre que les autres. Les raisons pour lesquelles les religions traditionnelles  n’ont  pas  obtenu  une  plus  grande  aEttPenRtiEonUmVéEriteAntMALION l’analyse. Plusieurs auteurs soutiennent l’hypothèse que les religions traditionnelles seraient toujours perçues comme archaïques, primitives et fermées sur elles-mêmes, donc contraires au développement et à la modernité à cause de l’utilisation, presque obsessionnelle, des concepts de paganisme, fétichisme ou animisme qui renforcent l’imaginaire que les religions traditionnelles seraient quelque chose de radicalement différent (Cox 2007 ; Olupona 2004 ; Harvey 2000).

Les chefs traditionnels sont sollicités pour renforcer l’assise sociale des religions traditionnelles (Kibora 2012). C’est ce que reconnaît l’un deux, le  Dapoya  Naaba,  un  des  ministres  du  roi  de  Ouagadougou  (Moogho Naaba)  :

Les coutumiers ont mis en place un conseil supérieur de la chefferie coutumière et traditionnelle qui regroupe tous les coutumiers du Burkina Faso. Il réunit, deux à trois fois par an, toutes les religions pour voir comment est-ce qu’ils vont travailler pour amener les autres religions à se souder 11.

L’enjeu  de  ce  cadre  est  de  surveiller  et  d’éteindre  les  foyers  latents susceptibles  d’alimenter  des  crises  et  l’extrémisme  violent.  Les  chefs coutumiers sont l’exemple patent de pratiques de croyances religieuses multiples. En effet, bien que la plupart d’entre eux soient de nos jours chrétiens ou musulmans, cela ne les empêche pas de pratiquer des rites religieux  traditionnels.  La  religion  traditionnelle  est  si  fortement  liée à  un  ordre  politique  soutenu  par  les  chefferies  que  cet  amalgame  fait indubitablement  des  chefs  des  représentants  de  la  religion  tradition- nelle,  même  si  ces  derniers  se  réclament  chrétiens  ou  musulmans.  En réponse  à  une  interview  de  Naaba  Kiiba  12   (Roi  du  Yatenga)  accordée au  journal  l’Observateur paalga du  27/07/09,  un  communicateur  avait écrit  ce  qui  suit  :

Chefs  coutumiers  du  Burkina  Faso,  vous  le  savez  bien  plus  que  tous  : vous  êtes  garants  de  la  tradition  et  des  coutumes  ;  ce  qui  est  un  pouvoir noble  et  un  noble  pouvoir.  Tout  pouvoir  vient  de  Dieu,  dit-on.  Le  vôtre également, puisque la religion traditionnelle reconnaît l’existence d’un Dieu suprême,  qu’elle  désigne  sous  l’expression  mooré  «  Naaba  Ziid  Wendé  » (le Roi Dieu), et dit que la terre serait son épouse selon la formule sacrée

«  Naaba  wend  pa  yuud  koom  la  paaga  Teng  yuuda  koom  »  (Dieu  ne  boit pas  de  l’eau  mais  son  épouse,  la  Terre  en  prend).  Votre  pouvoir,  vous  le détenez  donc  de  «  Naaba  Wendé  »  par  l’intermédiaire  des  ancêtres,  qui contrôleraient  l’exercice  de  ce  pourvoir.  13

Le rapport historique entre le cycle annuel religieux et l’ordre politique traditionnel se perpétue par le rôle prépondérant que les royautés ou chefferies jouent sur le plan religieux actuellement. Ce qui donne de l’espoir aux adeptes des religions traditionnelles, même si ceux qui s’en réclament  publiquement  sont  de  moins  en  moins  noEmbPreRuxE. UEnVoEutrAe,MALION en réaction aux actes terroristes qui secouent le Burkina Faso, nombreux

sont les Burkinabè qui ne verraient pas d’un mauvaisœil des réactions appropriées de groupes d’auto-défense (Koglweogo, Dozo) qui mettent leurs actions sous le couvert des pratiques mystico-religieuses … tra- ditionnelles. Les Koglweogo (littéralement « garder la brousse ») dans le Nord du pays et les Dozo dans l’Ouest sont des groupes auto-orga- nisés, fondés sur l’appartenance fictive ou réelle à des groupes d’âge    et d’initiation. Ils utiliseraient la force que l’imaginaire attribue aux chasseurs et à leur maîtrise des pratiques magiques tout autant que leurs connaissances de la géographie du terroir et des plantes que leur habilité à manipuler les armes afin de protéger la population locale contre le banditisme et l’extrémisme violent 14. Se situant en dehors   du droit étatique, les dérives ou les risques d’instrumentalisation de  ces hommes et femmes au nom d’une tradition « authentiquement africaine » sont évidemment réelles.

 

CONCLUSION

Dans la période post-indépendance, de nombreux intellectuels revendiquaient l’importance des religions traditionnelles parce qu’elles représentent une part entière de l’identité culturelle africaine. Les discours sur l’affirmation de la culture africaine dans tous les domaines de la vie sociale, n’ont pas pour autant, favorisé le développement des pratiques religieuses traditionnelles. Les idéologies marxisantes que la plupart  de ces intellectuels partageaient ne pouvaient pas s’accommoder d’un militantisme pro-religieux, fut-il traditionnel. L’évolution sociopolitique du Burkina Faso a montré que le pouvoir moderne a souvent eu des contradictions fortes avec celui coutumier (voir la contribution de Beucher dans ce volume). Ce fut le cas bien avant l’indépendance 15, jusqu’au premier président Maurice Yaméogo qui ne voyait pas d’un bon œil l’immixtion de la cour royale de Ouagadougou dans les affaires publiques. La tension sera plus vive pendant la révolution démocratique et populaire (1983-1987) où le pouvoir traditionnel était assimilé aux « forces rétrogrades » qu’il fallait combattre pour avancer. Pourtant, le pouvoir traditionnel avait, dans de nombreux royaumes et chefferies, favorisé le développement des religions traditionnelles. Les conversions de certains chefs et rois au christianisme et à l’islam ont plutôt été des occasions d’un renforcement du syncrétisme religieux que de rejet des religions traditionnelles. L’expression des religions traditionnelles a aussi pâti du rejet des intellectuels révolutionnaires et positivistes, mais aussi des attaques de l’état contre la chefferie traditionnelle et tout ce qui      y était assimilé. Les religions du livre et les analyses anthropologique présentant les religions traditionnelles comme radicaElePmRenEt dUiffVérEentAesMALION ont aussi contribué à construire un univers social où  ces  religions  traditionnelles sont marginalisées, confinées dans des rites particuliers, avec des domaines géographiques réduits. Les religions traditionnelles sont de nos jours beaucoup attendues dans la lutte contre l’extrémisme violent sans qu’on puisse spécifier clairement quelle pourrait être leur contribution. Certaines questions mériteraient d’urgence des études empiriques : quel rôle jouent les religions traditionnelles pour le bien- être et le vivre-ensemble des populations ? Comment les responsables religieux traditionnels s’impliquent-t-ils dans le développement et les relations interreligieuses ? Quel rôle jouent-ils en cas de conflits locaux et par quels mécanismes interviennent-ils ? Le nombre de plus en plus réduit de leurs adeptes déclarés ainsi que la diversité des pratiques amènent les pouvoirs publics à plutôt privilégier les leaders musulmans et chrétiens dans les actions contre la montée de l’extrémisme violent. Cela suppose aussi que l’extrémisme de la part de ces religions tradi- tionnelles, même s’il venait à se développer, ne saurait donner lieux à des expressions et d’une ampleur comparable à celles qu’on a connues.

 

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Notes

 

  1. Le célèbre livre de Hobsbawm et Ranger (1983) sur l’invention de la tra- dition a engendré une longue discussion en anthropologie et histoire sur les concepts de tradition, culture et le changement social (Sahlins 1999 ; Ranger 1993, 1999) et des études de cas sur l’émergence des nouvelles traditions dans toutes les parties du monde (Karlsholm et Hultin 1994 ; Otto et Pederson 2005).
  2. Communication lors d’un panel organisé pendant la semaine nationale de la culture 2016 sur le thème : « Dialogue interreligieux au profit de la cohésion nationale ».
  3. Dans le contexte burkinabè des théologiens comme Kalmogo (1979), Sanon (1972, 1985, 1991) ont mis leurs connaissances sur les traditions de leurs sociétés au service de l’évangélisation. Cette approche de la religion tradi- tionnelle se lit comme une initiation anthropologique pour une pastorale pratique afin d’enraciner le christianisme dans la culture Onunwa

appelle ce courant les « Indigenous Christian Scholars » (1991).

  1. Celui qu’on appelait le Sage de Bandiagara vécut en grand musulman pra- tiquant, tout en prônant le dialogue
  2. Modeste Bationo, conseil municipal de Réo : Le maire accusé de pratiques mystiques, Le Pays du 23 avril 2018 http://lepays.bf/conseil-municipal-de- reo-maire-accuse-de-pratiques-mystiques/, consulté le 01/11/2018.
  3. Les messes de requiem effectuées à l’église n’empêchent pas certains chré- tiens de réaliser des funérailles traditionnelles pour leurs défunts au Il en est de même des Doua de certains défunts musulmans qui précèdent des cérémonies traditionnelles propres aux religions traditionnelles en milieu rural sans oublier les pratique maraboutiques liées à la pratique de l’islam (sur les funérailles et le pluralisme religieux au Burkina Faso, voir Degorce, 2011 et Langewiesche, 2011).
  4. http://malidoma.com/main/
  5. C’est le cas de Béteo Nébie linguiste, ancien cadre de l’institut des Peuples Noirs, et des membres de la génération de Cheikh Anta Diop, tous partisans de l’égyptologie.
  6. Créée à Dori en 1973, l’Union fraternelle des Croyants (UFC) est très active dans le Sahel depuis 2005 dans cette dynamique de concertation. L’insurrection populaire de 2014 et la tentative de coup d’état de 2015    ont connu une participation active et concertée des différentes confessions religieuses pour résoudre les crises. Le 22 juin 2017 les leaders religieux   se sont retrouvés autour du chef de l’état dans son palais pour la rupture du jeûne musulman. Le 17 janvier 2018, la Radio Notre Dame du Sahel a lancé à Ouahigouya un projet de consolidation du dialogue interreligieux. En plus de l’UFC, la Commission épiscopale pour le dialogue islamo-chrétien,

Rencontres religieuses et dynamiques sociales au Burkina Faso

 

l’Union  des  Religieux  et  Coutumiers  du  Burkina  (URECBP) RsonEt UdeVs  EcadAresMALION de promotion du dialogue interreligieux.

  1. Projet EU (2015-1019) Neighbours South, Projet pilote pour la lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent dans la région du Sahel-Maghreb ou aussi le projet STRIVE (2016).
  2. Cité selon Aïssata Laure G. Sidibé, « Ambassade des états-Unis au Burkina Faso : La liberté et la tolérance religieuse au cœur d’un échange », novembre 2017. Voir : http://lefaso.net/spip.php?article80465
  3. Ce dernier avait demandé aux journalistes de ne plus parler de l’éviction de Salif Diallo des instances du CDP, alors parti au
  4. Sibiri Nestor Samné 2009, « Chefferie traditionnelle et politique : La confu- sion offense le pouvoir et érode l’autorité », voir http://lefaso.net/spip. php?article32689, consulté le 31/05/18
  5. Sur le mouvement des chasseurs et la sécurité, voir les travaux de Joseph Hellweg en Côte d’Ivoire (2004, 2009) et de Sten Hagberg au Burkina Faso (2004).
  6. Le jeune député qui siégeait au Palais Bourbon, Philipe Zinda Kaboré, bien que prince de naissance, demandait à la chefferie traditionnelle de com- prendre que son temps était dépassé et qu’elle devrait s’adapter à la forme nouvelle de l’état.